PSYCHIATRIE DYNAMIQUE AFRICAINE DU PR...

PSYCHIATRIE DYNAMIQUE AFRICAINE DU PR IBRAHIMA SOW, PSYCHIATRE

NOTE DU PR MOMAR GUEYE, PSYCHIATRE (PHOTO).

Dans ce livre l’auteur analyse les conceptions traditionnelles africaines de la maladie en général et particulièrement de la maladie mentale. De ces conceptions étiologiques sont issues des formes traditionnelles de thérapie qui donnent de bons résultats comme l’ont constaté plusieurs auteurs travaillant en Afrique. 
Un tel constat remet en cause l’importation et l’application stricte de méthodes thérapeutiques conçues et pensées dans un système de culture différent et Jans des conditions bien déterminées. En effet le concept de maladie mentale est intimement lié à l’organisation et à la dynamique de la personnalité (organisation et dynamique variables d’une culture à l’autre). 
Pour introduire son travail, l’auteur souligne que la mise en place des outils employés par la pratique psychiatrique occidentale, conformément à la démarche médicale, s’est faite dans un système culturel bien déterminé. Les schémas ont été construits dans un certain cadre intellectuel en un certain langage, mais aussi en fonction d’un horizon anthropologique implicite, impliquant nécessairement une certaine conception de la maladie mentale. 
Or le diagnostic clinique en psychopathologie sera d’autant plus cohérent et valable qu’il se réfère au même système de pensée que le patient. 
Ceci ne pose pas le problème de validité des constructions théoriques des schémas occidentaux. Le problème que soulève l’auteur est la difficulté du transfert de ces conceptions à un autre système anthropologique développant une théorie et une doctrine de la personnalité en rapport avec les conduites réelles : relations familiales, réseaux psycho sociaux, croyances, valeurs, etc... 
Cette hypothèse s’étend également à la psychanalyse, technique animée par une doctrine intégrée au système anthropologique occidental dont elle traduit l’une des perspectives essentielles. Cette technique « ne peut être féconde que si le langage de l’analysant et celui de l’analysé recouvrent la même totalité symbolique fondamentale ». 


A partir de cette position clairement définie au début, l’auteur se propose d’analyser la mise en forme et l’élaboration par la pensée traditionnelle africaine de catégories nosographiques. Cet examen, loin de récuser la nosographie classique, montre la cohérence des conceptions étiologiques traditionnelles africaines qui sont en fait de remarquables interprétations dynamiques, première étape de la prise en charge thérapeutique. Le statut et la signification de la maladie mentale dans la société et la culture africaines rendent difficile la pratique psychiatrique moderne. En effet la conception type biologique stricte qui ne laisse aucune signification au trouble mental est loin d’être satisfaisante. 
Deuxièmement l’auteur critique la conception d’un schéma psychologique fondamental universel, de même que le concept d’une culture universelle. 
Le praticien moderne en situation transculturelle ne peut donc ignorer les croyances, mythes et traditions sociales pour une relation d’aide et de compréhension. Son action ne peut se limiter à effacer les symptômes simplement.

D’autre part, l’auteur rappelle la fréquence, en Afrique, de la thématisation persécutive, contrastant avec la rareté des thèmes d’indignité, de culpabilité et de dévalorisation. Cette notion, déjà soulignée par plusieurs auteurs, va permettre à l’auteur de formuler son hypothèse de travail : 
La violence subie par « Ego » va engendrer un désordre qui est constitué par une triple relation polaire. 
1°) verticalement : dimension philogénétique en rapport avec l’être ancestral.

2°) horizontalement : dimension socio-culturelle c’est-à-dire l’alliance à la communauté élargie.

3°) Ontogénétiquement : dimension de l’existant, c’est-à-dire l’Etre biologique ou la famille restreinte. 
Schématiquement le trouble mental apparaît dans la pensée traditionnelle comme une violence exercée sur « Ego » par la rupture provoquée par une altérité agressive de l’un ou l’autre de ces liens issus des pôles fondamentaux constituants. 
Il existe la violence ritualisée qui serait analogue à la déstructuration psychotique. En effet toujours selon la pensée traditionnelle, la violence diffuse, non reprise collectivement aboutirait à l’incohérence et au désordre mental. 
Cependant, le terme traditionnel n’est pas synonyme de figé et les nouveaux types de rapports sociaux qui s’instaurent actuellement pourraient être l’occasion de développements nouveaux. Il y a possibilité d’élaboration de modèles psychologiques de la personnalité africaine qui doivent s’appuyer sur les lois, les interdits, les règles et attitudes propres à la culture africaine.

  • génétique du moi
  • motivations et conduites
  • processus de différenciation
    Ce travail permettra aux futurs psychiatres africains de développer des techniques mieux appropriées aux réalités et besoins spécifiques de leurs malades. En milieu traditionnel, le patient participe à sa prise en charge thérapeutique par le groupe dans des circonstances bien déterminées ayant une signification dans les réseaux culturels de relations. Il s’agit d’une forme de psychodrame que l’auteur qualifie de vivant et actuel.

La notion de conflit dynamique de relation avec un tiers persécuteur est le thème central de l’étiologie des troubles mentaux en Afrique.
L’auteur insiste sur le problème de « culture universelle » qui, s’il doit en advenir une, ne pourra être que le fruit de rencontres et de vrais échanges des symboles les plus fondamentaux qui éclairent chaque culture. Il appartient dès lors aux Africains de se penser eux-mêmes afin d’éclairer pour eux-mêmes et pour les autres leur propre identité : idée soutenue par plusieurs penseurs négro-africains.

DÉCOUVRIR L’AUTRE, RÉSOUDRE LE CONFLIT RELATIONNEL.

Puisque le trouble mental est synonyme de conflit en milieu traditionnel, le travail du praticien consiste à découvrir l’autre c’est-à-dire le second de la relation conflictuelle et à résoudre le conflit relationnel. 
Mais il est essentiel qu’il y ait, à chacun des moments de l’élaboration du diagnostic, un consensus communautaire. Il existerait ainsi une sorte de contrôle social du praticien à toutes les phases de la thérapie. Le patient apparaît comme victime mais en même temps comme révélateur d’un désordre dans la bonne marche du groupe. C’est en ce sens qu’il est vecteur d’une signification importante pour tous. Toutes les techniques employées visent à dévoiler l’agent persécuteur. Ainsi les moyens utilisés (exemple : le listiqar, le qalwa) pour le diagnostic, depuis les techniques de transes jusqu’aux visions hallucinées provoquées, en passant par le matériel onirique revêtent une haute teneur culturelle parce qu’ils transmettent la parole enfouie de l’homme et renforcent son lien avec le non-vu. 
Puis l’auteur schématise les dimensions constituantes de la personnalité toujours selon la conception traditionnelle dit-il. Malgré certaines variantes selon les aires culturelles considérées, il propose le schéma suivant :

1°) Corps ou enveloppe : en relation avec le pôle communautaire et qui serait le terrain du fétichage/ maraboutage.
2°) Principes vitaux en relation avec le pôle familial, l’être biologique. C’est le pôle de la sorcellerie.
3°) Principe spirituel en relation avec le pôle ancestral et qui serait la source du type de troubles les plus graves parce que procédant du désordre le plus important et le plus fondamental avec l’Etre, le Verbe, la Loi de l’Ancêtre.

Ce schéma apparaît d’autant plus satisfaisant que certaines structures comme la paranoïa, la névrose obsessionnelle, la mélancolie qui répondent à un système fermé (intériorisation du conflit) sont rares en Afrique. 
Approximativement :

- La bouffée délirante, polymorphe serait en rapport avec l’Ancêtre (dimension verticale).

  • L’inhibition sociale, physique, sexuelle évoquerait des problèmes avec la synchronie c’est-à-dire le système des alliances et signifiants culturels en général (dimension horizontale).
    
- L’angoisse paroxystique en rapport avec la dimension ontogénétique.
    Cependant les causes organiques ne sont pas méconnues mais apparaissent comme secondaires. Ce qui est important et fondamental c’est le « pourquoi » à votre malheur, le hasard étant systématiquement écarté.
    Ensuite l’auteur propose une étude de la structure et de la fonction de la relation africaine de sorcellerie : le terme sorcellerie prête souvent à confusion. Il ne s’agit pas ici de tout ce que le mot sorcier africain évoque souvent c’est-à-dire le guérisseur, le chef d’une société secrète, le devin, le responsable d’un culte religieux, le magicien bénéfique ou maléfique, etc... La difficulté de lui trouver un synonyme dans l’une quelconque des langues occidentales tient au fait que la sorcellerie ne peut se concevoir que par rapport aux éléments constitutifs les plus originels de la notion africaine de personne.
    L’opération du sorcier est une opération à distance, une sorte d’emprise extérieure sur le principe vital. Le « sorcier » est toujours un ennemi vivant avec qui il existe un conflit réel ou latent et c’est pourquoi l’auteur préfère employer le terme relation de sorcellerie. Cette relation de sorcellerie qualifie et spécifie une modalité singulière de relation actuelle d’agressivité, au sein de la communauté, à partir de relations conflictuelles réelles manifestes et latentes. Il s’agit donc d’une reprise au niveau collectif et individuel d’un des trois développements possibles du conflit actuel de relations. La sorcellerie constitue ainsi sur le plan psychologique, un des cadres intellectuels dans lesquels viendra se couler l’angoisse existentielle. D’ailleurs au niveau des représentations collectives, on ne peut subir l’attaque que de sorcier avec qui on a une certaine pratique sociale. Ainsi la sorcellerie ne peut se réduire à de simples fantasmes oraux individuels (schéma issu de là psychologie dynamique individualiste) ou à une problématique génitale.
    Selon la conception traditionnelle, l’homme est solidement amarré dans un univers pan structuré, lieu privilégié où sont localisés les actants de l’expérience du mal. Le drame ne saurait jamais être un débat intérieur et le mésocosmos peut être considéré comme l’équivalent fonctionnel de l’imaginaire individuel de la psychologie occidentale. Ainsi peut-on risquer l’hypothèse d’un collectif imaginaire auquel la société traditionnelle donne un statut valorisé et privilégié parce qu’il permet l’accès à autre chose le « signifié communautaire » c’est-à-dire l’Ancêtre principe structurant pour l’ensemble des sujets.
    D’ailleurs plusieurs auteurs européens ont noté la difficulté méthodologique et théorique d’accès à l’imaginaire individuel de leurs patients africains. Dans ces conditions l’approche de type analytique est pratiquement impossible ; comment établir le transfert ? Par ailleurs se pose ce problème de la transposition du message symbolique d’œdipe, qui loin d’être un drame passionnel individuel vécu serait plutôt celui de l’affrontement entre séries diachroniques concrètes. Or dans la structure familiale en pleine désagrégation dans la quelle Freud reconstitue le scénario mythique du jeune œdipe narcissique, le père n’a plus le moindre pouvoir traditionnel ni aucune puissance effective.

© PSYCHIATRIE DYNAMIQUE AFRICAINE DE IBRAHIMA SOW (Payot, Paris 1977). In Ethiopiques numéro 14 
revue socialiste 
de culture négro-africaine 
avril 1978

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